Le droit à l´oubli selon la CJCE : commentaire de l’arrêt de la CJCE du 13 mai 2014 Google Spain SL et Google Inc. V. Agencia Espanola de Proteccion de Datos (aepd) et Mario Gonzales.

L’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 13 mai 2014 Google Spain SL et Google Inc. v Agencia Española de Protección de Datos (AEPD) et Mario Costeja González a établi une étape importante dans le renforcement de la protection des données personnelles à l´égard des traitements de données effectués par les moteurs de recherche en Europe. En vertu du « droit à l’oubli », consacré par cet arrêt, les personnes concernées par des informations contenues dans une page web affichée à la suite d´une recherche opérée sur le moteur de recherche, ont la possibilité de demander à son exploitant le déréférencement des liens apparaissant dans les résultats de recherche effectués sur la base de leurs noms.

La question juridique au cœur de cette décision était l´application de la norme européenne, et plus particulièrement de la Directive sur la protection des données personnelles du 24 octobre 1995, aux établissements de Google en Europe. En ce sens, le moyen de défense principal de Google consistait dans l´argument que Google n´est pas un responsable de traitement des données personnelles au sens de la Directive de 1995. La Cour de justice a rejeté cet argument, en considérant qu´indépendamment du traitement effectué par le site hébergeur des données en cause, l´exploitant du moteur de recherche lui-même collecte, extrait, enregistre, indexe, met à disposition des données personnelles de tiers en réalisant ainsi un traitement aux termes de la Directive de 1995. Par conséquent, selon la Cour, la Directive fait du responsable de traitement celui qui détermine les finalités et les moyens du traitement, ce qui est le cas de Google. Cette conclusion est plus évidente encore au regard du rôle d’amplificateur massif du traitement des données personnelles joué par les moteurs de recherche, « susceptible d’affecter significativement et de manière additionnelle par rapport à celle des éditeurs de sites web les droits fondamentaux de la vie privée et de la protection des données à caractère personnel ».

En même temps, le fait que la page d´origine soit licite ainsi que l´absence de préjudice subi par la personne concernée ne prive pas cette dernière du droit de demander le déréférencement. A ce titre, le moteur de recherche devra déréférencer les liens en cause même si la personne concernée n´a pas initiée des démarches contre l´éditeur, les informations étant toujours disponibles sur la page en question.

Aux termes de l´arrêt de la Cour de justice et en conformité avec l´article 12 de la Directive de 1995, si les informations sur le demandeur sont inexactes, inadéquates, non pertinentes ou excessives au regard des finalités du traitement, qu´elles ne sont pas mises à jour ou qu´elles sont conservées pendant une durée excédant celle nécessaire, l´exploitant du moteur de recherche aura l´obligation de supprimer les liens figurant dans la liste des résultats affichée suite à la recherche effectuée à partir du nom de la personne concernée.

Cependant, dans la mesure où la suppression de liens de la liste de résultats pourrait, en fonction de l’information en question, avoir des répercussions sur l’intérêt légitime des internautes potentiellement intéressés à avoir accès à cette information, la Cour constate qu’il y a lieu de rechercher un juste équilibre notamment entre cet intérêt et les droits fondamentaux de la personne concernée, en particulier le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel. A cet égard, si les droits de la personne concernée prévalent, en règle générale, sur ledit intérêt des internautes, cet équilibre peut toutefois dépendre, dans des cas particuliers, de la nature de l’information en question et de sa sensibilité pour la vie privée de la personne concernée ainsi que de l’intérêt du public à recevoir cette information, lequel peut varier, notamment, en fonction du rôle joué par cette personne dans la vie publique.

En ce sens, par deux ordonnances de référé du 24 novembre 2014 (D.Tabet / Google France et Google Inc.) et du 19 décembre 2014 (Marie-France M. / Google France et Google Inc.), le TGI de Paris a considéré que les demandeurs ont justifié des raisons prépondérantes et légitimes prévalant sur le droit à l´information, en ordonnant ainsi à Google Inc. le déréférencement des liens respectifs de son moteur de recherche. Dans cette dernière affaire, une internaute avait demandée à Google Inc. la suppression d´un lien vers un article du quotidien Le Parisien relatant l´affaire d´escroquerie jugée en 2006 dans laquelle elle avait été condamnée à une peine de prison. Puisque Google avait refusé de faire droit à la demande de l´internaute, invoquant l´intérêt public, celle-ci a engagé une action à l´encontre de Google France. En considérant que cet article nuisait à la possibilité de trouver de l´emploi par la demanderesse, le tribunal a fait droit à la demande de celle-ci en ordonnant à Google le déréférencement de l´article en question.

En outre, les autorités européennes de protection des données réunies au sein du Groupe de l’article 29 (G29) ont adopté des lignes directrices pour assurer une application harmonisée de l’arrêt de la CJUE. A ce titre, les lignes directrices contiennent une liste des critères communs que les autorités de protection des données appliqueront pour traiter les plaintes qu’elles reçoivent suite à des refus de déréférencement par les moteurs de recherche. La liste contient 13 critères qui doivent être considérés comme des outils de travail flexibles qui aideront les autorités dans la prise de décision :

– la personne concernée doit être une personne physique et le lien affiché doit résulter d´une recherche effectuée sur la base du nom de cette personne

– le rôle de la personne concernée dans la vie publique doit être pris en compte

– l´âge de la personne concernée doit être pris en considération, plus particulièrement si cette personne est un mineur

– les données sont-elles exactes ?

– les données sont-elles pertinentes ou excessives ?

– les informations sur la personne concernée sont-elles des informations sensibles au sens de l´article 8 de la Directive 95/46/CE ? E.g. : sont des informations sensibles des informations qui visent l´état de santé ou les croyances religieuses de la personne concernée

– les données en cause sont-elles conservées pendant une durée excédant celle nécessaire ?

– les données en question causent-elles un préjudice au plaignant et au respect de sa vie privée ?

– est-ce que le lien résultant de la recherche crée des risques pour le plaignant ?

– quel est le contexte de la publication des informations en cause ? (contenu rendu volontairement public par le plaignant ou pas ; contenu qui doit être public ou pas)

– est-ce que les informations ont été publiées à des fins journalistiques ?

– est-ce que l´éditeur des informations détient des pouvoirs ou obligations légales de rendre cette information disponible au public ?

– est-ce l´information se rapporte à une infraction pénale ?

Le G29 considère aussi que pour donner plein effet à la décision de la Cour, le déréférencement devra être effectif sur tous les noms de domaines pertinents, y compris le nom de domaine .com et pas uniquement sur les extensions européennes des moteurs de recherche.

Concernant la mise en œuvre du droit à l´oubli en Europe, Google a reçu plus de 250 000 demandes concernant près d’un million de liens. Celui-ci a décidé de maintenir 58% de ces liens dans ses résultats. En France, 52 % des 174 311 liens (pour 52 000 demandes) ont été conservés, le principal motif du rejet des demandes étant la prévalence de l’intérêt légitime des internautes potentiellement intéressés à avoir accès à l’information en question sur le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection de données à caractère personnel .

Enfin, le nouveau droit consacré par l´arrêt Costeja pourrait être également appelé un droit au déréférencement, car la page concernée ne disparaîtra pas, elle sera juste inaccessible à partir du nom de la personne en question. Autrement dit, l’information originale sera toujours accessible en ligne en effectuant une recherche sur d’autres termes ou en consultant directement le site source.

[1] Le TGI de Paris ordonne le déréférencement d’un lien à Google Inc., sur Legalis Actualités : http://www.legalis.net/spip.php?page=breves-article&id_article=4426 , 9 janvier 2015

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